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Carl Craig… "Haïti sur toile."

Published on : décembre 31, 2021By : Thomas Ayissi

Artiste autodidacte, il a abandonné les juteux couloirs de Wall Street pour répondre à l’appel de la mère-patrie, à travers un pinceau. Portait.

Il pensait pouvoir la garder à jamais en lui. C’était sans compter la force de cette passion qui l’habite depuis l’enfance. Finalement, à 56 ans, (il en a 66 aujourd’hui) Carl Craig se laisse aller à son désormais métier, la peinture. Le déclic ? Un voyage à travers Haïti, le pays qui l’a vu naître, mais qu’il a quitté très tôt. A ce moment, il travaille comme consultant dans le gouvernement de transition du Premier Ministre Gérard Latortue (entre 2004 et 2006). Carl renoue alors avec sa terre, redécouvre la beauté de son pays, sa culture et savoure l’humilité de ses compatriotes.

Famille joyeuse, environnement hostile

C’est dans ce contraste que se déroule l’enfance de Craig Philippe Carl. Premier coup dur, comme pour lui signifier que rien ne serait facile, la disparition de son père ; Emmanuel Pétion Craig décède onze jours seulement après la naissance du jeune homme. Le fringant Cubain-Haïtien avait rencontré son épouse Renée Germain à Haïti où ils vivent quelques temps après leur mariage avant de partir pour Santiago de Cuba où une grande partie de la famille habite encore.

Entouré de ses trois frères et trois sœurs, de quelques tantes et oncles, d’une multitude de cousins et surtout de sa mère, le petit dernier grandit dans l’amour et la chaleur familiale. « Cette chaleur arrivait à combler un peu l’absence de mon père » raconte-t-il. Et de poursuivre, le vague à l’âme, « dans notre quartier, on avait l’impression que les clôtures et murs n’existaient pas ; c’était une société ouverte qui, à cette époque, facilitait la coexistence. L’éducation, la musique et le sport étaient notre quotidien ».

Puis, la peur s’est installée dans le pays. La politique a pris le dessus et des politiciens malsains dictent leurs lois. Son oncle et un cousin de sa mère sont assassinés. Face à cet environnement hostile, la famille décide de quitter le pays et immigre aux Etats-Unis en 1966. A 15 ans, il doit désormais affronter un univers totalement différent, avec des barrières à tous les étages. Le prix de la survie !

Wall Street

Et il ne s’en sort pas si mal, au contraire. Encouragé par Pierre Carrie Sr, « un de mes mentors », il intègre les forces armées américaines « l’US Air Force » en 1973, en pleine guerre du Vietnam, qu’il va servir cinq ans. Un choix purement stratégique selon Carl : « C’était pour moi l’occasion de recevoir une éducation plus formelle et stricte ; Il n’était pas question d’y faire carrière ». Après un diplôme en Sciences des finances et affaires internationales à l’université internationale de Floride, il se lance sur les marchés financiers sous la houlette d’un autre mentor, Max Bayard Sr avec qui il travaille. « Je suis toujours fasciné par l’aspect mécanique des finances, sans aucune inspiration ». Il y passe tout de même seize ans et achève son parcours à « Wall Street » en qualité de consultant financier principal chez Merrill Lynch, une banque d’investissement américaine.

Haïti chérie !

Pendant ces années, la peinture bouillonne en lui, jusqu’à ce fameux voyage qui le fera exploser. De retour aux USA après cette expédition aux allures initiatiques, il décide d’ouvrir une nouvelle page, et sans doute la plus importante, de sa vie. Coucher sur les toiles, en général de très grandes, «où je peux m’exprimer sans aucune restriction », la beauté d’Haïti. Sur ses œuvres, il veut refléter son pays. Il magnifie les commerçantes haïtiennes, peint l’innocence des enfants jouant dans les rues, célèbre la beauté des cérémonies traditionnelles de son pays, ses richesses naturelles et culturelles, le tout aux travers de couleurs chaleureuses et frappantes, symbole de vie.

“J’aime certainement la vie, et mes couleurs sont purement la réflexion de ma vision des tropiques, des Caraïbes et particulièrement, d’Haïti chérie » explique le peintre qui ne manque pas de justifier pourquoi la femme est au centre de ses créations : « Je vénère et respecte la femme dans toute sa splendeur. Elle est notre déesse. Pour moi, elle est le symbole de la beauté, de la bonté, de l’amour, de la sensualité et de la tendresse. Un simple reflet de mon expérience, une bénédiction.”
Oui pour Carl Craig, la femme est une grande source d’inspiration. Sa femme notamment. Marie Donald, dont le tout premier regard avait bouleversé sa vie. « Elle se tenait en haut d’un escalier, vêtue de noire » se souvient-il.


Under the Moonlight, par Carl Craig.

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Revenons à la peinture …

Mais revenons à la peinture. Ce qui inspire le plus ce peintre d’une rare simplicité, ce sont « les teintes de la peau de l’être humain et toutes les nuances de la nature, spécialement les changements et reflets que causent la lumière, les couleurs ». Presque philosophique.
Celui que l’on présente comme le meilleur artiste peintre haïtien, pense que malgré la multitude de plasticiens issus de son pays, c’est maintenant que beaucoup commencent à apprécier l’importance de ce genre d’art visuel. Il mise alors sur la nouvelle génération, laquelle bénéficie par ailleurs des nouvelles technologies et l’invite à “toujours être à la recherche des éléments de notre culture que nous devons présenter au monde entier”.

Mon défi : partager la beauté

Et quand on lui demande quelle est la place de l’Afrique dans ses créations, il répond que celle-ci est le « nucleus ». « Haïti est le rare pays des Amériques qui depuis le premier jour de son indépendance, à toujours garder ses liens avec le continent-mère ». Il avoue également que grâce à sa femme qui a effectué des recherches spécifiques, l’Afrique est représentée à 49% dans son ADN. Ce qui le motive à poursuivre non seulement la quête de son « Motherland » (mère patrie), mais aussi son éducation sur l’art. C’est d’ailleurs là où réside le succès dans ce métier d’après lui : « s’éduquer en permanence sur l’art/l’histoire et la pratique constante qui conduit à faire des découvertes chaque jour ». Il en sait quelque chose, lui qui réside depuis tant d’années aux Etats-Unis, « une culture qui permet de se découvrir soi-même, un environnement qui m’encourage, à ce stade de ma vie, à relever un défi qui m’est cher, celui de partager la beauté ». Une autre façon de vivre son “American dream”.

Aujourd’hui, son rêve le plus cher est de faire une grande exposition de ses œuvres en Afrique. Aussi, il travaille sur un projet dénommé « Musical Euphoria on Canvas » qui a pour but de promouvoir des géants de la musique haïtienne dans le temps. D’ailleurs ce qu’on ne vous a pas dit, c’est que Carl Craig est aussi photographe et…musicien. Chuut !! Il s’en défendra ; « Je suis peintre avant tout. Je me sert de la photographie comme outil et la musique comme passe-temps ». C’est bien ce qu’on disait.

Pour confirmer, il suffit de passer un peu de temps à son studio, sis à sa résidence de Miramar au Sud de la Floride ; le rituel est presqu’habituel quand vient le moment de s’évader, d’exprimer ses sentiments : Un fond de Steeve Wonder ou encore de John Lennon, de la peinture à huile, un pinceau en main et voilà Haïti sur toile.

Par Alix Fétué. (Revu par Thomas Ayissi)